Extraits

Extrait de la nouvelle « La Ronde du Ring » écrite le 7 février 2015 lors de l’événement littéraire « La Littérature sur le Ring », 24 heures d’écriture en direct du Ring Bahn, la ligne de S-Bahn qui fait le tour de Berlin. Un événement organisé par l’association « Un zèbre sur la langue »: Myriam Louviot, Barbara Bernardi et Béatrice Nicolas. Les auteurs ayant participé au défi étaient: Nicolas Ancion, (B), Neil Jomunsi (F), Robert Klages (D), Nicoletta Grillo (I), Nikita Afanasejw (D), Patrick Weh Weiland (D) et Amélie Vrla (F).

« Des jours, des semaines, sans baiser.
Il ne la touche plus, depuis qu’elle est venue, ne caresse plus sa peau. Il lui sourit, lui parle, des heures, tandis qu’elle se consume.
Elle ne dort plus.

Elle écoute sa respiration, écoute ce ronflement régulier, qui ne la berce pas mais lui transperce le cœur. Elle jalouserait même cet air, cet air qu’il prend, qu’il inspire, cet air qui entre en lui, qui emplit ses poumons, participe de lui.
Il n’a pas besoin d’elle. Il dort. Elle ne dort pas.
Il ne la désire pas.
Elle le regarde dormir, des heures. S’endort dans un sursaut, se réveille, se souvient. Coup au cœur.

Elle le caresse, parfois, des heures durant. Un désir mécanique le prend, quelque chose de l’ordre du réflexe, son sexe dressé, comme une plaie que le jus d’un citron vert viendrait irriter.
Il bande, et ne la baise pas.

Elle sort, quitte l’appartement, hésite à laisser les clefs, mais ne sait pas où aller. Elle sort, arpente Berlin, qu’elle ne connaît pas encore. Les cils collés du mascara qu’elle n’a pas démaquillé depuis des nuits, le fond de teint collant sur sa peau. Belle et orange.

Un trait d’eye liner en plus, pour retrouver de l’épaisseur aux paupières, ôter un peu de cette transparence.
Insomniaque, oui, insomniaque de désir.

Elle se rappelle ce papillon, qu’ils avaient apprivoisés.
Elle avait dix ans, était la plus âgée de ses cousins. Ils l’avaient trouvé sur une pierre au soleil, l’avaient pris par les ailes, posé dans le creux de la main, emmené dans la salle à manger, placé sur la plus grosse fleur.
Le papillon volait de bouquet en bouquet, et jamais ne partait, malgré l’été, et les fenêtres grandes ouvertes.
Les enfants l’attrapaient, doucement, délicatement, entre deux doigts, pour lui faire des baisers.
Mais bien vite, elle s’aperçut qu’il laissait sur leurs doigts des dessins irisés, du bleu, de l’émeraude, du violet. Un conte de fée tracé à même leur peau, par la poudre de ses ailes qu’il leur abandonnait. Tant et tant qu’il finit par ne plus pouvoir voler : les ailes devenues transparentes ne le supportaient plus, et il mourut, des éclats de couleur qu’il leur avait offerts. »

 

Extrait de la nouvelle « Wedding », écrite à l’occasion de « RaysDay » 2015, une journée pour célébrer l’amour de la lecture et rendre hommage à Ray Bradbury.

« Seule sur ce carré de pelouse, seule adossée contre cet arbre, posée sur ce pays étranger aux contours flous comme sur un tapis volant, elle attendait de reprendre racine.
Elle aurait dû se sentir chez elle, entourée des siens, du « noyau dur ». Elle aurait dû retrouver ce qu’à New York elle évoquait constamment : la famille, les liens éternels, les vrais, les durs, les de toujours.

Et aujourd’hui quoi ? On l’oubliait au gîte, on l’écoutait sans la comprendre, on préférait aller s’occuper de sa grand-mère. On parlait chiffons ou bébés, on n’avait rien à raconter.

Coquilles vides des soirées d’antan, restes d’une époque révolue, mascarade d’un cercle qui n’existait plus. L’image de leur jeunesse fragmentée, devenue kaléidoscopique. Comme ça, à première vue, c’était plutôt joli, mais qui voudrait habiter un mirage ?

Même Edouard, qui remuait tant en elle, Edouard dont elle désirait le sexe, la peau, les poings, Edouard qu’elle détestait, pour la traiter comme une étrangère, eux qui s’étaient connus, qui avaient dormi, petit déjeuné ensemble. Eux qui faisaient partie de cette même ronde absurde, ce même cercle infernal. Des amis.

Plus de sens dans rien de tout cela, et les buildings new-yorkais lui manquaient. La vivacité de la ville, celle dont on disait qu’elle était vide, creuse, sans fond : oasis d’espoirs, concentration d’illusions, mais si la vie calme d’Europe avait perdu toute véritable chaleur, alors pourquoi ne pas partir s’y faire une carrière, dans cette belle pomme rongée des plus gros vers, dans cette presqu’île de tous les possibles ?
Plus d’obligations, on pouvait faire passer un vernissage avant les copinages, le troisième job avant le premier amant. Tout le monde comprenait. On venait à New York pour dire adieu à la routine, aux amarres, aux conventions.

Un cliché où il faisait bon marcher à toute allure, sans respirer, apnée du métro, Ligne M, R, D : merde à la France et aux Français ! Merde à vous qui étiez mes amis, qui n’êtes plus mes amants, merde à toi qui te marie et me délaisse, pour cet homme que je ne connais pas, pour ce yaourt que je ne digère pas, pour cette rakia qui m’enivre et me tord le ventre.

Que lui trouves-tu ? Que t’apporte-t-il ? Pourquoi ce regard sur lui, ses épaules, ses muscles ? Cette carrure derrière laquelle tu disparais, fluette crevette, toi, mon amie, toi ma sœur, qui ne m’écoute plus.

Sa manière de rouler les r en Français, toi qui passa tant de temps à effacer ton accent, toi dont le chant laisse à peine deviner à présent les sonorités de l’ancienne Perse. Dans les [ka] que tu ouvres encore un peu trop. « Kâkâtapulte », « kâkâtaclysme », « kâkâtastrophe ».  »

 

 

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